La Bourse RPBB 2024, d’un montant de 6000 €, a été attribué à Anaïs TONDEUR pour son travail Noir de Carbone.
Anaïs Tondeur
Diplômée de la Centrale Saint Martin (2008) et du Royal College of Arts (2010) à Londres, Anaïs Tondeur, ancre sa démarche dans la pensée écologique. Développant une pratique interdisciplinaire, elle recherche par un travail sur l’image d’autres conditions « d’être au monde »
Son travail s’expose dans des institutions internationales telles que le Centre Pompidou (Paris) La Serpentine Gallery (Londres) ou encore le pavillon français de la Biennale de Venise.
Noir de Carbone
Pour ce projet, Anaïs Tondeur s’est fait pisteuse : elle suit ce nouvel acteur invisible de nos vies contemporaines, le noir de carbone, polluant atmosphérique produit par les activités industrielles humaines. Tel un symbole de cette crise écologique, le noir de carbone abolit la distinction entre soi et l’environnement : il circule depuis l’atmosphère jusque dans nos corps. Anaïs Tondeur devient ainsi son propre instrument photographique : ce sont les particules de noir de carbone accumulés dans son masque respiratoire qui seront son encre photographique, rendant ainsi visible l’invisible qui influe sur nos existences intimes et sociales.
Par la matérialité de l’image photographique, Anaïs Tondeur explore ici la porosité de nos corps au monde en pistant un ensemble de météores contemporaines : des particules de noir de carbone. Le terme météore, par son étymologie grecque, fait référence aux phénomènes célestes : nuage, arc-en-ciel, grêle ou comète. Or, cette matière en suspension aérienne dont elle a suivi les traces est d’une autre nature.
Spectres de nos sociétés industrialisées, ces particules de noir de carbone sont issues principalement de la combustion incomplète d’hydrocarbures. Ces particules fines se dispersent avec les vents, dérivent en quelques jours le long des courants atmosphériques pour retomber à plusieurs centaines de kilomètres de leur point d’émission. De plus, si ces particules de la taille du micron ne connaissent aucune limite géographique, elles pénètrent également l’intérieur de nos corps, déclenchant selon l’OMS plusieurs millions de décès par an.
Ainsi, dans une forme de Deep mapping, elle a pisté le déplacement de l’un de ces flux invisibles à partir de l’une des îles les plus reculées d’Europe. Arrivée sur l’île de Fair, située à mi-chemin entre les Orcades et les Shetlands, elle a transmis ses coordonnées géographiques aux physiciens de l’atmosphère Rita van Dingenen et Jean-Philippe Putaud (JRC, Commission européenne) qui ont identifié le point d’émission des particules de noir de carbone qui traversaient le ciel qu’elle respirait.
Ces météores de noir de carbone avaient été produits dans le port de Folkestone à 1 350 kilomètres de l’île. Munie d’un appareil photo et chaque jour, d’un nouveau masque FFP2, elle pisté en sens inverse la trajectoire suivie par cet ensemble de particules, par voies terrestres et maritimes.
Elle a conservé la trace de chaque jour de l’expédition par un portrait de ciel, réalisé d’un point haut dans le paysage pour capter les détails de la ligne d’horizon, situant ainsi le lieu. En parallèle, elle filtra à travers les fibres de son masque les particules qui la traversaient, ensuite extraites en plongeant les masques dans un bain d’ions pour les transformer en encre.
De fait, le noir de carbone est une forme collatérale de suie, utilisée depuis des siècles dans la fabrication de l’encre de Chine. Ainsi, chaque photographie est tirée, en partie, avec les particules de noir de carbone collectées dans le ciel photographié, révélant, selon les variations de noirs de l’image, le volume de particules présent dans le ciel.