PRIX DU PUBLIC 2024

Le Prix du Public RPBB 2024, a été attribué à Natalya SAPRUNOVA pour son travail EVENKS, Gardiens des richesses Yakoutes

Natalya SAPRUNOVA

Natalya Saprunova, née à Mourmansk dans la région arctique de la Russie, et installée en France depuis 2008 est une photographe documentaire basée à Paris. Elle est membre de l’agence Zeppelin. Diplômée en photojournalisme à l’école des métiers de l’information EMI-CFD(Paris), elle explore les problématiques de la société moderne liées à l’identité, l’intégration, le changement climatique, la jeunesse, la féminité et la spiritualité.

EVENKS, Gardiens des richesses Yakoutes

Ils font corps avec la taïga. Éleveurs de rennes, chasseurs de tradition, les Evenks connaissent tout de cette grande forêt froide. Présents aux quatre coins de la Russie, ces nomades ont gagné le surnom d’«aristocrates de Sibérie » en conduisant leurs troupeaux avec dignité, noblesse, aisance et courage. Le costume officiel des hommes, semblable à une queue-de-pie, leur a même valu le surnom de « Français de la forêt ». Mais en Iakoutie, là où le paysage est parsemé de mines d’or et de diamant, ce peuple autochtone se sent coupable d’avoir un jour « guidé » les Soviétiques dans leurs prospections souterraines, jouant le rôle de mushers (conducteur de traîneau à neige tiré par un attelage de chiens) pour les géologues à qui ils ont appris à survivre dans un climat rude. Comme bon nombre de peuples autochtones ailleurs dans le pays, ils ont permis le développement industriel de l’Union soviétique.

Le 29 juillet 2022, sur une rive du lac Baikal, les Evenks de toute la Russie se réunissent pour la première fois. Peuple autochtone d’éleveurs de rennes, ils ont trouvé dans le Congrès toungouse l’occasion de visiter leur site originel, berceau de leur culture. Plus récemment, les Evenks occupaient un vaste territoire allant du fleuve Ienisseï au Kamtchatka, de la Yakoutie jusqu’à la Chine.

Pour les Evenks, la nature qui les entoure est toute leur vie. Chasseurs de tradition, ils sillonnaient les forêts orientales de Sibérie depuis des siècles. Ainsi, les Evenks se sont installés dans les taïgas de Yakoutie, au milieu des mélèzes, des myrtilliers et des mousses de renne. Ils vivaient en présence du cerf, de l’élan, de l’ours brun, du renard, du grand tétras, de la zibeline, du taïmen, du brochet, du corégone, de la perche et de la truite. Ce n’est donc pas un hasard si la toponymie des sites naturels a des racines Evenks.

La Russie est actuellement le troisième producteur d’or, tandis qu’un diamant sur trois extraits dans le monde provient de Yakoutie. Tant bien que mal, les Evenks cohabitent avec les industriels qui exploitent leurs terres sacrifiées sur l’autel de la croissance économique. La taïga est massivement abattue, les lits des rivières sont saccagés, les nappes phréatiques sont polluées, et les expertises ethnologiques en prévention de chaque chantier ne sont que trop rares, alors que la loi l’exige systématiquement. Les Evenks espéraient un meilleur lendemain pour leurs enfants, et ce d’autant que le permafrost se met à fondre sous leurs pieds.

La préservation des milieux naturels est pourtant la priorité des Evenks. Sans les rennes et l’environnement qui les nourrit, ils ne pourront plus exister en tant que peuple. Mais qui mieux qu’eux saurait prémunir la planète des bouleversements climatiques ?

Même la fonte du permafrost pourrait avoir une solution locale. L’événement est catastrophique pour les régions septentrionales, mais il affecte aussi l’ensemble du globe avec la libération de méthane et de dangereuses bactéries. À Chersky, en Yakoutie, le directeur de la Station scientifique du Nord-Est a sa petite idée sur la question : Nikita Zimov a repris le flambeau de son père pour expliquer combien les grands herbivores sont importants pour équilibrer le milieu. En été, ils gardent l’herbe rase, limitant le développement des arbres qui absorbent la chaleur du rayonnement solaire. En hiver, ils dégagent la neige et permettent à la terre de se refroidir plus vite. Les rennes y ont bien sûr leur place, mais aussi yaks, bisons, chevaux, chèvres… in fine, cela vaut peut-être mieux que tout l’or du monde ?